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Versión Española: Las diferentes categorías de bienes
Résumé et extraits du livre « La Démocratie en miettes » de Pierre Calame (2003)
Escrito por: Claire Launay, Thomas Mouriès
Fecha de redaccion:
Organizaciones: Institut de recherche et débat sur la gouvernance (IRG), Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH)
Tipo de documento: Artículo / documento de difusión amplia
Dossier : 9 thèses pour repenser la gouvernance, Résumés et extraits du livre « La Démocratie en miettes » de Pierre Calame, Ed. Charles Léopold Mayer, Descartes, Paris, 2003.
Le marché est une forme parmi d’autres de gouvernance, soumise aux mêmes principes et aux mêmes objectifs
Le monde n’est pas une marchandise ! C’est le cri de ralliement des opposants à la globalisation néolibérale. Qui n’adhérerait à ce mot d’ordre qui frappe juste ? Peut-on considérer comme un progrès humain la transformation de toute chose, tout être, toute idée, tout service rendu en un bien marchand pour aboutir, en reprenant l’expression fameuse, à une situation où nous connaîtrions le prix de chaque chose et la valeur d’aucune ? Comment ne pas voir qu’une société se délite, se défait, si ce qui n’a pas dans l’immédiat de valeur marchande n’est pas géré et si les relations sociales se transforment en rapports économiques ?
Le marché n’est qu’une des formes de la « gouvernance de l’échange » des biens et services. Il faut donc le traiter, l’analyser et le juger selon les mêmes principes que les autres formes.
(…)
Continuons à analyser le marché avec notre grille de lecture de la gouvernance. Elle nous invite à revenir à l’histoire, aux conditions de naissance des normes et règles, pour en contextualiser et en délimiter la portée.
(…)
Le marché comme forme de gouvernance n’échappe pas à la nécessité de passer d’une typologie dominée par les compétences, les règles et les institutions à une nouvelle, dominée par les objectifs, les critères éthiques et les dispositifs de travail. L’objectif final de l’économie générale est bien d’organiser le cadre et les mécanismes de régulation de la production et de la gestion des biens et services en vue de l’épanouissement des sociétés et de la paix, selon des critères de justice sociale et de responsabilité, et dans le cadre d’un développement durable respectueux des équilibres entre l’humanité et la biosphère comme des droits des générations futures. C’est au regard de ces objectifs et de ces critères qu’il faut juger le marché comme mode de régulation.
(…)
Le clivage traditionnel entre public et privé est devenu peu pertinent
(…)
Venons-en maintenant au second point : la définition au XXIe siècle d’un bien public ou d’un service public. Affirmer « c’est un bien qui est géré sous l’autorité de la puissance publique » n’est que le résultat d’un choix de la société. (…) En vertu de quels critères la société juge-t-elle de cette nécessité ? Il me semble à l’analyse que l’on mélange trois critères différents : la nature des biens et services, leur vocation et leur répartition.
– La nature des biens et services : sont-ils susceptibles d’être produits et distribués selon les mécanismes du marché ?
– Leur vocation : correspondent-ils à un bien ou service que la société juge indispensable d’offrir à tous ses membres ? Quelle différence y a-t-il, au plan de la nature du bien, entre une consultation médicale et une séance chez le coiffeur si ce n’est que la santé est jugée d’intérêt public et pas la coupe de cheveux ?
– Leur répartition : on peut considérer que l’égalité devant l’éducation, l’accès au logement, le droit à un environnement de qualité sont trop importants pour les faire dépendre des ressources financières ou des choix personnel de chacun.
Ces trois critères sont éminemment respectables et c’est à bon escient que les sociétés les combinent. En les associant rigidement pour former la sphère de l’action publique on réduit en revanche la palette des solutions possibles alors que la vocation même de la gouvernance est de l’élargir. Les critères de vocation et de répartition des biens peuvent conduire à des solutions très différentes d’une société à l’autre, les unes privilégiant la fourniture directe de services par la collectivité, les autres privilégiant les mécanismes de redistribution financière. Il m’a semblé qu’en raison même de l’évolution de nos sociétés, le premier critère, la nature des biens et services, donnait un fil directeur d’une grande fécondité pour aborder avec un oeil neuf la relation entre action publique et marché.
La relation entre action publique et marché est déterminée par la nature des biens et services
Le fil rouge, celui qui va nous aider à départager les différents biens et services, j’oserais presque dire le critère expérimental, est celui qui relève de l’épreuve du partage. (…) J’ai constaté que cette épreuve du partage donnait naissance, très grossièrement, à quatre catégories très différentes de biens et services, conduisant à des formes de relation elles-mêmes très différentes entre action publique et marché étant entendu, comme on va le voir, que la palette des solutions et des choix de société demeure très grande à l’intérieur de chacune de catégories.
La première catégorie, à laquelle on pourrait réserver l’expression de « bien public » stricto sensu englobe lesbiens qui se détruisent en se partageant ou qui, quand ils existent et sont produits, bénéficient à tous sans que l’usage par l’un exclue l’usage par l’autre. Ceux-là appellent une gestion collective.
La deuxième catégorie, que l’on pourrait qualifier de « ressources naturelles », au sens le plus large du terme, englobe les biens qui se divisent en se partageant et sont en quantité finie. Ces biens appellent une gestion économique pour les mobiliser, les entretenir, les reproduire mais leur quantité ne dépendant que partiellement de l’ingéniosité humaine, leur répartition relève de la justice sociale autant et plus que de l’économie marchande.
La troisième catégorie englobe les biens et services qui se divisent en se partageant mais qui sont avant tout le produit de l’ingéniosité et du travail humain. Ce sont principalement les biens industriels et les services aux personnes. Ils peuvent, comme on l’a vu, être considérés comme biens et services indispensables et relever par « vocation » ou par « répartition » d’une gestion publique mais ils sont bien adaptés par ailleurs à une régulation par le marché, en tant que mode décentralisé d’affectation et de combinaison des ressources.
La quatrième catégorie enfin, la plus intéressante pour l’avenir, est constituée des biens et services qui se multiplient en se partageant. Cette algèbre paradoxale où deux divisé par deux égale quatre est celle de la connaissance, de l’information, de la relation, de la créativité, de l’intelligence, de l’amour, de l’expérience, du capital social. Ce que je donne, je le garde, et je m’enrichis de ce que l’autre me donne. Logiquement, de tels biens et services devraient relever non du marché mais de la mutualisation : je reçois parce que je donne.
On comprend pourquoi l’évolution de la société rend nécessaire de passer d’une catégorisation en deux classes, biens publics et biens privés, à la catégorisation en quatre classes telle que je viens de l’esquisser. La production industrielle de type « minière » sous-estime l’importance des biens de première catégorie, fait comme si les ressources naturelles étaient pratiquement illimitées, et traite les biens de quatrième catégorie comme quantité négligeable. Dès lors l’économie classique concentre son attention sur les biens et services de troisième catégorie. De façon significative, et jusqu’à une date très récente avec la création des indicateurs de développement humain, la mesure même du développement n’était associée qu’aux biens et services de troisième catégorie ! Le produit intérieur brut ne s’intéresse qu’à eux et exclut même la grande sous-catégorie des biens et services autoconsommés. Ni la destruction des écosystèmes, ni la dégradation des ressources naturelles, ni à fortiori les biens qui se multiplient en se partageant ne sont pris en compte ou même envisagés.
L’évolution de la société n’autorise plus des approximations aussi grossières et aussi biaisées. Les biens de première catégorie, notamment les biens publics mondiaux, sont nécessaires à notre survie et cela met en cause aussi bien la suprématie des marchés que la souveraineté des États qui sont les deux intégrismes de la gouvernance. La bonne gestion et l’équité de distribution des ressources naturelles deviennent vitales à mesure que leur rareté augmente eu égard à la croissance de la population et au mode de vie prodigue des pays riches. Les biens de quatrième catégorie sont appelés à occuper une place dominante tant pour assurer le bien-être de tous que comme facteur de production ou de gestion des autres types de biens.
Les prémisses de l’économie classique ne correspondent donc plus aux réalités. Les contorsions idéologiques pour faire entrer à toute fin et de toute force ces trois catégories de biens et services dans la logique du marché ressemblent fort aux efforts desespérés pour adapter en astronomie le modèle de Ptolémée à la réalité avant que la révolution copernicienne, à laquelle j’ai fait référence en introduction à l’ouvrage, vienne proposer une nouvelle cohésion d’ensemble.
C’est donc dans le cadre de chacune des catégories de biens qu’il nous faut maintenant examiner les relations possibles entre action publique et marché.
(…)
Les principes communs de gouvernance se retrouvent dans la gestion des différentes catégories de biens et services
La distinction des quatre catégories de biens et services a permis de mieux comprendre le mode de relations entre action publique et marché propre à chacune d’elles. On ne peut pour conclure que souligner maintenant les profondes analogies qui montrent la portée générale des principes de gouvernance.
(…) Tout d’abord, la définition de la gouvernance par les objectifs, les critères éthiques et les dispositifs concrets s’avère à chaque fois décapante pour ébranler des certitudes trop bien installées et défendues par de trop solides intérêts. Les règles de la gouvernance économique doivent en permanence s’évaluer et s’enrichir à l’aune de leurs effets concrets. De même, les critères de légitimité de la gouvernance offrent une grille d’analyse fructueuse pour dire ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Le simple fait de considérer le marché comme une modalité de gouvernance parmi d’autres, évalué selon les mêmes critères que les autres, a, on l’a vu, permis de passer du dogme d’une science économique à une approche expérimentale et d’ouvrir largement le champ des possibles.
Ensuite, dans tous les cas, y compris pour les biens de troisième catégorie, se pose la question de l’articulation des niveaux de gouvernance et s’applique le principe de subsidiarité active, moyen d’obtenir le maximum d’unité et le maximum de diversité à la fois. (…)
Si l’on constate que l’insertion d’une économie locale dans le marché mondial est en même temps destructrice de liens sociaux et source d’un appauvrissement du capital social de la société, si, de fil en aiguille, cette insertion compromet la sécurité alimentaire ou la qualité de l’alimentation parce que les sécurités assurées autrefois par les interdépendances locales n’ont pas été remplacées par des sécurités construites à un autre niveau de gouvernance, cela signifie que l’on perd d’une main plus que l’on ne gagne de l’autre : l’optimum économique fondé sur les seuls échanges marchands a alors été atteint au prix d’une dégradation de la situation dans des domaines encore plus importants de la vie en société. Le processus de spécialisation des productions entre régions, entre pays et entre acteurs économiques aboutit dans les faits à renforcer les filières verticales de production. Le lien avec les autres catégories d’échange est perdu de vue, qu’il s’agisse des échanges sociaux ou des échanges avec l’environnement. Tout se passe alors comme si l’outil de mesure unidimensionnel utilisé pour mesurer « le progrès économique » se révélait outrageusement réducteur et masquait l’essentiel des phénomènes.
Pour préserver l’équité entre les acteurs et éviter les effets de rente, on pourrait par exemple énoncer le principe général suivant : à l’intérieur d’un cadre et d’un cahier des charges communs qui préservent l’égalité des chances des acteurs et permettent en particulier l’arrivée en permanence de nouveaux acteurs pour empêcher les effets de rente, toute société à quelque niveau que ce soit peut développer des systèmes d’échange répondant à sa situation et à ses besoins spécifiques dès lors qu’elle peut en démontrer la supériorité sur la simple mise en oeuvre des règles uniformes du marché.
(…)
On a, enfin, retrouvé pour la gestion de chaque catégorie de biens, deux principes de gouvernance qui vont être exposés dans les pages qui suivent : le nécessaire partenariat entre les différents types d’acteurs ; le rôle central des territoires locaux pour organiser avec finesse les relations de toutes natures.