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Natural Resource Governance around the World

BOLIVIE. La dispute pour les terres de l’Est est au centre du conflit national

Written by: Miguel Urioste

Writing date:

Organizations: Fundación Tierra

Type of document: Paper / Document for wide distribution

Documents of reference

Urioste, Miguel. La disputa por la tierra en el oriente está en el centro del conflicto nacional. Revue Pulso, Bolivie. Le 22 août 2008.

Evo Morales a été élu président de la Bolivie en 2005 par un vote à la majorité absolue (53%) et a été reconduit dans ses fonctions le 10 août 2008 par les deux tiers (67%) des électeurs, par le biais d’un référendum révocatoire. Cette situation, inédite dans toute l’histoire de la République de Bolivie, consolide son mandat et son projet de changement au moins jusqu’en 2010. Ainsi, non seulement dispose-t-il d’un soutien dans la partie occidentale du pays, où sa base électorale ne cesse de s’élargir, mais aussi a-t-il vu ses appuis politiques se renforcer dans la région appelée ”Demi-Lune”, auparavant dominée par l’opposition urbaine.

Cependant, au-delà de ces scores écrasants, il ne sera pas facile pour le président bolivien de gérer son succès électoral, car le référendum montre également que les départements de la partie orientale du pays ont toujours des velléités d’autonomie. Le mandat dont a été investi Evo Morales au mois d’août doit permettre, d’une part, de continuer à construire un État central fort, qui régule l’activité économique et réinvestisse l’excédent obtenu dans un objectif de développement national associé à l’intégration et l’équité ; et d’autre part, concilier les exigences d’autonomies avec le processus de changement.

Le 11 août, le gouvernement a tenté de rendre compatibles les autonomies départementales avec le projet de nouvelle Constitution politique de l’État (NCPE), afin d’arriver à un accord, destiné non seulement aux communautés indigènes et paysannes, mais aussi à la population urbaine non indigène.

Malgré cette invitation répétée au dialogue, le front d’opposition, les préfets et les dirigeants civiques de la Demi-Lune ont réagi en radicalisant leur discours antigouvernemental et en refusant toute négociation. De plus, les actions politiques de cette opposition régionale ont exacerbé les conflits sociaux et elles ont visé la confrontation avec les forces de l’ordre. Cela montre bien que la stratégie des préfets de l’opposition sera d’empêcher les autorités gouvernementales de s’implanter dans ces régions, de prendre le contrôle des institutions étatiques et de continuer à essayer d’appliquer illégalement les statuts d’autonomie (des élections ont été convoquées pour nommer les représentants d’une soit-disant assemblée législative à Santa Cruz). En d’autres termes, cela revient à ne pas reconnaître l’État bolivien et le gouvernement central et à mettre en place des gouvernements régionaux qui fonctionnent comme des États au sein de chaque département de la Demi-Lune. Ceci a déjà provoqué, dans ces départements qui se veulent autonomes, des réactions de certains secteurs favorables au gouvernement.

Les Statuts d’Autonomie Départementale entravent la réforme agraire

Les Statuts d’Autonomie Départementale constituent un obstacle manifeste à la prétendue révolution agricole du président Evo Morales et de son gouvernement. Les départements de l’Est du pays réclament la compétence de gestion des ressources naturelles, ce qui empêche la possible mise en place d’une réforme agraire dans cette région. La question des terres se trouve au centre du conflit de compétences entre l’autonomie départementale et l’autonomie indigène.

La nouvelle loi agraire approuvée en novembre 2006 accorde au président et au pouvoir exécutif des pouvoirs élargis pour restituer directement des latifundia improductifs. Le projet de nouvelle Constitution donne également des compétences particulières au pouvoir exécutif pour délimiter, classifier et, le cas échéant, restituer et redistribuer des latifundia. Cependant, cette nouvelle loi agraire - loi de reconduction communautaire de la réforme agraire - est encore en discussion au tribunal constitutionnel, qui n’atteint toujours pas le quorum requis. En conséquence, les propriétaires de terres dans l’Est du pays et leurs organisations syndicales représentatives (CONFEAGRO - Confédération agricole de Bolivie, FEGASACRUZ - Fédération des éleveurs de Santa Cruz, CAO - Chambre d’agriculture de l’Est) ont appelé à ne pas la respecter. De fait, depuis le début de l’année 2008, des propriétaires terriens ont violemment protesté contre les autorités et les agents de la fonction publique, ce qui a eu pour effet de geler la mise en place de sécurisation des titres de propriété des terres à l’Est.

Une véritable révolution agricole reste à inventer

Le projet de révolution agraire n’est pas un élément isolé au sein de la proposition gouvernementale ; c’est un sujet central qui inclut d’anciennes exigences des communautés indigènes et paysannes. C’est une des priorités du processus élargi de réforme politique, sociale et économique que le gouvernement veut mettre en place. Cependant, ce processus se trouve pris au piège d’un conflit qui empêche actuellement le bon déroulement des réformes et met même en danger la gouvernance démocratique, notamment du fait de l’exacerbation des différences ethnico-régionales entre Orient et Occident. Il est impossible de déterminer les réelles avancées de cette révolution agraire au cours des deux premières années puisque ses objectifs n’ont jamais été quantifiés. Les moyens de mesure sont inexistants. En réalité, il semblerait que la révolution agraire en tant que telle n’existe pas bien qu’il y ait eu différentes tentatives de réduction des latifundia à l’Est – tentatives aujourd’hui paralysées par le refus des principaux propriétaires terriens – et plusieurs actions gouvernementales afin de favoriser la production dans les petits domaines agricoles, par le biais de crédits (près de 80 millions de dollars - 53,2 millions d’euros) et la fourniture de machines (plus de mille tracteurs).

L’obtention de titres sur les territoires indigènes de l’Est progresse dans les « terres du domaine national »

Durant les deux premières années de la révolution agraire, le gouvernement du président Morales a axé son discours sur la problématique foncière des Basses Terres de l’Est amazonien. Plusieurs titres de propriété collective de très grands territoires indigènes, gelés depuis 2006 du fait de blocages bureaucratiques ou freinés par des procédures juridiques, ont été rapidement placés par Evo Morales sous le contrôle des peuples indigènes de l’Est du pays. Durant plus de dix ans et grâce à la coopération internationale, à un budget de plus de 90 millions de dollars (plus de 60 millions d’euros), à la participation de plusieurs organisations indigènes ainsi qu’au soutien d’autres ONG, des progrès ont été réalisés en matière de sécurisation d’un grand nombre de terres communautaires d’origine (TCO) ou de territoires indigènes. Cependant, le gouvernement du président Morales a été celui qui, contre vents et marées, a délivré des titres sur les plus importantes terres indigènes de l’Est ainsi que les terres amazoniennes, à tel point qu’il n’existe aujourd’hui pratiquement plus de terres ni de forêts dont il est possible de disposer librement. Avec la loi de reconduction communautaire de la réforme agraire adoptée en 2006, les familles ou entreprises privées nationales ou internationales ne pourront plus recevoir de l’État un seul mètre carré de terre, que ce soit gratuitement ou contre une somme d’argent. Seuls les communautés ou peuples indigènes pourront bénéficier de dotations de terres ou de territoires, et ce exclusivement sous forme de propriété collective. Cette distribution massive de titres fonciers aux peuples indigènes de l’Est entre en conflit avec les moyennes et grandes exploitations agricoles, mais aussi avec les indigènes de l’Ouest qui migrent à l’Est, à la recherche de terres qu’ils ne trouvent pas.

La sécurisation de nouvelles terres à l’Ouest est paralysée

Parallèlement à cela,, de nombreuses initiatives et efforts ont été menés par le gouvernement, le vice-ministère de la Terre et l’Institut National de la Réforme Agraire (INRA) pour restituer des latifundia dans l’Est du pays, particulièrement après l’affaire du grand propriétaire terrien Branco Marinkovick, président du Comité civique de Santa Cruz. De ce fait, la sécurisation des terres dans les vallées et l’altiplano a été pratiquement abandonnée. En effet, en deux ans, aucune avancée significative n’a pu être signalée en matière de sécurisation de nouvelles terres pour les paysans, les familles et les communautés des Andes. Ces efforts ont, certes, permis d’accélérer la signature de milliers de titres de propriété qui, depuis plusieurs années, attendaient d’être traités par la bureaucratie, mais le gouvernement du président Evo Morales n’a mis en œuvre que peu de nouveaux aménagements fonciers. Cette situation génère une demande croissante et insatisfaite de mise à jour des droits de propriété sur les terres familiales des communautés de la région andine de l’Ouest et des colonies des Basses Terres.

Les indigènes des Andes n’ont pas eu accès à de nouvelles terres dans les plaines

La loi de reconduction communautaire de 2006 n’a introduit aucun mécanisme permettant de distribuer de nouvelles terres aux indigènes de l’Ouest andin dans les zones orientales des Basses Terres. La possibilité de favoriser l’installation de paysans sans terre de l’Ouest andin dans les Basses Terres reste un mirage ou une illusion, que le gouvernement soutient de moins en moins. Mise à part l’installation de colons à “Pueblos Unidos”, il faut reconnaître - une fois le Mouvement des Sans Terre (MST) désamorcé par le gouvernement – qu’il n’existe pas non plus de demande organisée d’indigènes de l’Ouest pour favoriser l’accès à de nouvelles terres à l’Est. L’activité informelle dans les villes - commerce, petite industrie, artisanat, emplois temporaires- est en effet toujours plus attractive que le travail agricole.

L’État ne soutient plus le modèle agricole de production de soja

Un peu plus de deux ans après le début de la révolution agraire, il est évident que les sphères gouvernementales ont décidé d’attaquer la base concrète du pouvoir politique des élites agro-industrielles de l’Est en passant par l’affaiblissement progressif de la monoculture du soja et de tous ses liens et ramifications politiques, économiques, sociaux et régionaux. L’achat des actions de l’entreprise GRAVETAL - principale entreprise privée productrice de soja et autres graines à Santa Cruz -, par une filiale de PDVESA - la compagnie pétrolière contrôlée par l’État vénézuélien-, est une preuve évidente de cette stratégie.

Les groupes agro-industriels du département de Santa Cruz, auparavant privilégiés par des politiques publiques de soutien et de subventions, sont devenus le principal noyau politique et économique d’opposition au gouvernement. En outre, avec la fin de la décennie de préférence tarifaire pour le soja bolivien dans le cadre de la Communauté Andine des Nations (CAN), le soja bolivien doit concurrencer des produits brésiliens, argentins ou d’Amérique du Nord. Étant donnés les coûts élevés du fret en Bolivie et malgré la hausse significative du prix du soja, le rythme d’avancement du front pionnier pour la mise en culture du soja et des graines oléagineuses (1 million d’hectares en 2008) devrait se stabiliser, suivi de tous les effets de ralentissement économique dans la région orientale.

Selon le gouvernement, les agriculteurs de l’Ouest ne sont désormais plus indispensables pour générer des devises. De fait, ils ont constitué un pan de l’économie dont on peut se passer pour ainsi transformer la structure monopolistique de tenure foncière et de production dans la partie orientale en un modèle basé sur des acteurs beaucoup plus petits produisant différentes types d’aliments, d’abord pour le marché interne et ensuite pour l’exportation.

Les initiatives lancées par le gouvernement pour affaiblir le modèle productif de la région de Santa Cruz, en favorisant une diversification de la production axée principalement sur la satisfaction de la demande nationale de produits alimentaires, ne prennent pas en compte la demande internationale croissante et dans un contexte oùla production de soja et de canne à sucre convertis en agrocarburants est de plus en plus rémunératrice.. La hausse du prix de la terre à l’Est, l’aggravation de la crise et la lutte pour l’accès à la terre sont essentiellement déterminés par la demande mondiale de soja pour la production d’agrocarburants à Santa Cruz. La crise alimentaire en Bolivie est également en partie liée à cette demande. Les agro-entreprises de l’Est ont récemment organisé, avec le soutien du gouvernement des États-Unis (USAID-Agence Américaine pour le Développement International), des campagnes d’information, médiatiques et publicitaires pour promouvoir les avantages de la culture du soja pour la production d’agrocarburants, prenant ainsi le contrepied de la position officielle du gouvernement.

Une crise alimentaire peut survenir

Durant plus de dix ans, le modèle de production du département de Santa Cruz, centré sur la monoculture de soja et autres graines oléagineuses, a laissé de côté la production de produits alimentaires destinés à la consommation bolivienne interne. Approvisionner le marché interne n’est pas une activité intéressante pour les entreprises et cela a donc été laissé à l ‘initiative des petits producteurs paysans et indigènes, mais sans politiques publiques de soutien. Paradoxalement, c’est au moment où le gouvernement favorise le retour à l’agriculture, à la diversification des productions alimentaires, à l’activité communautaire et à la redistribution collective des terres, qu’une pénurie alimentaire dans les villes de Bolivie pourrait bien survenir.

La politique du gouvernement vise également à privilégier la sécurité alimentaire via une production diversifiée dans des petites unités agricoles. La crise alimentaire mondiale pourrait donc être une opportunité d’accroître l’offre de produits alimentaires, de stimuler l’emploi rural et de susciter une plus grande adhésion politique au processus de changement, aux dépens de l’affaiblissement des structures agro-industrielles centrées sur la monoculture de graines oléagineuses, qui bénéficiaient jusqu’alors de subventions publiques.

Il est urgent de concilier les statuts autonomes avec le projet de nouvelle Constitution

La crise politique nationale peut s’aggraver. Par conséquent, un compromis entre les autonomies indigène et départementale est un pré-requis pour parvenir à créer un pacte social national et trouver une solution démocratique à la crise politique. Le processus de municipalisation radicale, associée à la participation populaire, qui a été amorcé il y a 14 ans, ainsi que les velléités d’autonomie des départements et les avancées du gouvernement pour reconstruire un État national fort, posent la question de la reconfiguration du pouvoir. Le gouvernement central, les groupes d’indigènes, de paysans et de colons, les communes et les régions se disputent les compétences d’accès, d’usage et de gestion de la terre et des ressources naturelles en général. Des accords doivent être passés pour mettre fin à cette situation.

Cet article a été repris - avec l’autorisation de l’auteur - du site Internet de la Fundación Tierra. Il a été publié initialement par la revue Pulso, le 22 août 2008.

Miguel Urioste F. de C., est le Directeur de la Fundación TIERRA.

Traduction de l’espagnol vers le français par Agnès Carchereux pour AGTER

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