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Natural Resource Governance around the World

English version: The territory, foundation brick of governance in the 21st century

Le territoire, brique de base de la gouvernance du XXIe siècle

Résumé et extraits du livre « La Démocratie en miettes » de Pierre Calame (2003)

Written by: Claire Launay, Thomas Mouriès

Writing date:

Organizations: Institut de recherche et débat sur la gouvernance (IRG), Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH)

Type of document: Paper / Document for wide distribution

Documents of reference

Dossier : 9 thèses pour repenser la gouvernance, Résumés et extraits du livre « La Démocratie en miettes » de Pierre Calame, Ed. Charles Léopold Mayer, Descartes, Paris, 2003.

Le principe de subsidiarité active nous a permis de comprendre en particulier comment s’articulent et coopèrent les différentes échelles de gouvernance. Parmi ces échelles, le territoire local constitue le lieu où l’on peut identifier de la manière la plus concrète à la fois les acteurs, le surgissement des problèmes ainsi que leurs effets. Loin d’être un espace abstrait et subsidiaire, il est celui où, par excellence, se nouent les relations entre acteurs et entre échelles de gouvernance. D’où la nécessité de « penser localement » afin de comprendre l’un des principaux enjeux de la gouvernance du XXIe siècle : la « revanche des territoires ».

(…) je vais montrer que le territoire local, concept qui va être précisé plus loin, est la véritable brique de base de la gouvernance, l’unité élémentaire à partir de laquelle tout l’édifice se construit, du local au mondial, selon une architecture, un meccano, dont la subsidiarité active est le principe structurel.

(…)

Qu’est ce qu’un territoire et dans quelles conditions peut-il devenir la brique de base de la gouvernance ? Plus encore que dans les autres domaines, une révolution de la pensée est nécessaire.

Si vous demandez à un responsable administratif et politique local ce qu’est un territoire, si vous demandez à un planificateur local ce qu’est un territoire, il s’en amusera tellement la réponse paraît évidente : c’est une surface physique délimitée par des frontières administratives et politiques. C’est ce territoire que votre interlocuteur gère et il n’en connaît pas d’autres. (…) Le drame de ce mode d’approche est que la société évolue en permanence, que les villes par exemple ne cessent de s’étendre dans l’espace jusqu’au point où la distinction à leur frange entre monde urbain et monde rural devient de plus en plus factice. En outre, chaque type de problème conduirait à définir son propre « territoire pertinent » : celui à l’échelle duquel s’organisent les interdépendances majeures pour le problème. Ce sera la zone d’habitat peut-être pour le logement, le réseau routier urbain et péri-urbain pour le transport, le bassin d’emploi pour le développement économique, les principaux bassins versants pour l’eau, etc. (…)

Le point de vue change du tout au tout si l’on définit le monde d’aujourd’hui, en particulier le territoire, comme un système complexe de relations et d’échanges. Alors, le développement a pour objet de valoriser, améliorer et maîtriser les différents systèmes de relation. La gestion territoriale va supposer de bien les connaître et d’apprendre les multiples manières de les enrichir. Le territoire nous apparaît alors non plus comme une surface géographique ou une entité administrative et politique définissant un intérieur et un extérieur mais comme le carrefour de relations de nature variée. (…)

C’est précisément l’importance nouvelle des relations qui amène à reterritorialiser la pensée. Le territoire y apparaît sous deux formes : d’abord une superposition de relations essentielles, entre les problèmes, entre les acteurs, entre l’humanité et la biosphère, un espace privilégié de valorisation des biens qui se multiplient en se partageant ;ensuite le lieu même où s’organisent les relations entre les niveaux de gouvernance.

Dès lors, la problématique classique du « pensons globalement et agissons localement » s’inverse pratiquement. C’est à partir du local qu’il faut penser. Pour penser les relations, on ne peut que « penser avec ses pieds », à partir des réalités locales. (…) C’est une manière particulièrement illustrative d’énoncer une réalité plus générale : partir du territoire oblige à partir de réalités concrètes, d’acteurs en chair et en os, de liens véritables en lieu et place du maniement de systèmes abstraits pour lesquels il n’y a finalement plus de critère pour démêler le vrai du faux. (…)

(…) C’est bien à l’échelle du territoire que l’on peut interroger les modèles de développement actuels et les systèmes mentaux et conceptuels qui les fondent. C’est au niveau local que l’on peut le mieux décrire les pathologies de ces modèles, que l’on peut interroger la réalité des besoins que l’on prétend satisfaire, que l’on peut esquisser des alternatives. Dans tous les pays du monde, les logiques de la globalisation économique produisent leurs effets au niveau le plus local. Un paysan du Mali, par exemple, est immédiatement touché par l’organisation mondiale des filières de production et de commercialisation du riz ou par les subventions versées par les Etats-Unis à ses producteurs de coton.

En définitive, si l’on revient à la subsidiarité active, le territoire apparaît à la fois comme le point d’application de principes directeurs définis à une autre échelle, l’espace de coopération entre les différents niveaux de gouvernance et le lieu à partir duquel on pense, on évalue, on ouvre de nouvelles pistes.

(…)

(…) le développement des sciences, des techniques et des systèmes d’information nous a rendus de plus en plus ignorants de notre propre réalité concrète. Non seulement on occulte la mort et la merde mais, de surcroît, comme tout se convertit en valeur monétaire et tout s’échange sur un marché devenu mondial, l’argent devient la mesure de toute chose et la connaissance des relations concrètes s’estompe.

Une ville française, par exemple, connaît mal sa consommation d’énergie, maîtrise mal les flux d’échange de biens et de services en son sein et avec l’extérieur, contrôle mal la circulation des savoirs. (…)

(…) Le développement d’outils opérationnels de gestion des relations multiples à l’échelle d’un territoire sera dans les décennies à venir un des champs d’innovation les plus prometteurs pour la gouvernance. On découvrira alors, comme je l’évoquais à propos de la mise en perspective historique, que le système industriel issu du XIXe siècle, l’organisation de l’État et du marché, bref, tout ce qui avait transformé les territoires en espaces abstraits sans qualité et remplacé les communautés par des individus interchangeables n’aura été qu’une parenthèse de l’histoire.

La revanche des territoires s’étend même à des domaines comme l’éducation ou la science qui, transmettant ou élaborant des savoirs universels, semblent devoir être détérritorialisées par leur nature même. Il n’en est rien. L’Agenda pour le XXIe siècle issu de l’Assemblée mondiale de citoyens est à cet égard on ne peut plus explicite. La mutation à venir de l’éducation et de la science sera parallèle à celle de la gouvernance, et pour les mêmes raisons : si les défis du monde d’aujourd’hui portent sur la prise en compte des relations, éducation et science doivent en priorité contribuer à les relever. Nicolas Bouleau, mathématicien et professeur à l’École nationale des ponts et chaussées, fait à cet égard une observation particulièrement intéressante. Selon lui, il y a deux types de science. La première, devenue hégémonique au cours des deux derniers siècles, s’attache à énoncer des principes vrais quel que soit le contexte. (…) Or, dit-il, il existe une autre science tout aussi rigoureuse que la première. Elle s’énonce ainsi : « dans toute situation je peux trouver une réponse satisfaisante à la question posée ». C’est ce second type de science qui est le mieux adapté à notre situation actuelle et on aura noté que son énoncé ressemble fort à celui du principe de subsidiarité active. Cette science doit se développer en situation. Où peut-elle le faire mieux qu’à l’échelle d’un territoire ? Si, comme le défend Edgar Morin, l’objet premier de l’éducation est de permettre au futur adulte de comprendre la condition humaine et de gérer le monde complexe, où pourra-t-on y parvenir mieux qu’à l’échelle territoriale et à partir d’un enseignement enraciné dans le territoire ? La place majeure du territoire dans l’éducation se vérifie plus encore pour l’apprentissage de la citoyenneté. Cet apprentissage suppose de pouvoir transformer son environnement, énoncer ses responsabilités, référer à des acteurs concrets. Il suppose aussi, dans l’institution des communautés, une capacité à définir ensemble des règles. Cela n’est possible que dans des situations concrètes, enracinées, avec des acteurs identifiés.

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