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Résumé et extraits du livre « La Démocratie en miettes » de Pierre Calame (2003)
Written by: Claire Launay, Thomas Mouriès
Writing date:
Organizations: Institut de recherche et débat sur la gouvernance (IRG), Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH)
Type of document: Paper / Document for wide distribution
Dossier : 9 thèses pour repenser la gouvernance, Résumés et extraits du livre « La Démocratie en miettes » de Pierre Calame, Ed. Charles Léopold Mayer, Descartes, Paris, 2003.
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Le principe de subsidiarité active s’est trouvé confirmé par la réflexion sur les fondements constitutionnels d’une gouvernance légitime : la discipline imposée au nom du bien commun doit être justifiée par les objectifs poursuivis et non par l’existence de « territoires politiques et administratifs » immuables et, pour être pleinement légitime, elle doit satisfaire au principe de moindre contrainte.
Qu’il s’agisse de la gestion de la biosphère, de l’encadrement de l’économie ou de l’organisation de la société tout entière, l’art de la gouvernance consiste à atteindre le maximum de cohésion avec la plus grande liberté d’initiative, la plus grande unité avec le maximum de diversité. Toute innovation locale qui s’avère mieux adaptée, qui accroît le capital social, qui élargit en définitive la palette des réponses tout en respectant un certain nombre de principes communs est un progrès pour tous.
De quelque côté que l’on se tourne, l’articulation entre niveaux est au cœur de la gouvernance. Aucun problème majeur de la société contemporaine ne peut se traiter à un seul niveau et par une seule institution. Les relations entre niveaux de gouvernance ont toujours existé mais étaient laissées en lisière, ou renvoyées dans l’impensé. Les mettre au cœur de la réflexion, c’est appliquer le « principe d’inversion » évoqué en première partie : valoriser ce qui était marginalisé ; traiter comme secondaire ce qui était jusque-là central.
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La naissance du concept de subsidiarité active : la déclaration de Caracas (1991)
(…) Au bout de trois jours à la rencontre de Caracas, nous nous sommes aperçus à notre grande surprise que les conditions de pertinence des politiques publiques face à ce type de problème étaient partout les mêmes et supposaient l’application de principes identiques. En revanche, bien entendu, les solutions concrètes à adopter pour mettre en oeuvre ces principes étaient radicalement différentes selon qu’il s’agissait de l’Indonésie, du Cameroun, du Brésil, du Venezuela ou de la France.
Des principes directeurs communs construits collectivement et tirant leur légitimité des conditions mêmes de leur élaboration, fondés sur l’échange d’expériences et devenant de véritables obligations de résultat pour l’action publique ; exigeant des responsables politiques qu’ils leur trouvent une application spécifique dans chaque contexte ; imposant des modalités collectives de vérification de leur mise en œuvre et des mécanismes d’apprentissage par l’échange d’expérience en réseau : voilà, condensés en une seule histoire, les éléments de la subsidiarité active.
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La généralisation du principe de subsidiarité active
Le rapprochement des deux épisodes, la déclaration de Caracas et le livret de l’entreprise lire les pages consacrées à cet épisode, était un premier indice de la portée générale d’une méthode de recherche de principes communs quand il s’agit de gérer les rapports entre unité et diversité dans un univers complexe. Toutefois le véritable déclic s’est produit quand j’ai réalisé que cette méthode pouvait éclairer d’un jour complètement nouveau la relation entre niveaux de gouvernance. Dans mes expériences professionnelles antérieures, j’avais été frappé par la difficulté des collectivités à organiser de manière efficace, cohérente et sereine les relations, pourtant quotidiennes et nécessaires, entre leurs différents niveaux. Aux premières loges de la préparation de la loi de décentralisation, en France, au début des années quatre-vingt, quand j’étais sous-directeur à la direction de l’urbanisme, j’avais encore en mémoire les combats que l’on avait menés et perdus contre l’idée de « blocs de compétence » (…). Or, l’idée de « bloc de compétence », c’est l’idée de répartir de façon exclusive les compétences entre chaque niveau. A une autre échelle encore, je voyais l’Europe patauger, faute de concepts et de méthodes adaptés pour traiter de façon prospective les relations entre l’Union, les États, les régions et les territoires locaux. C’est alors que j’ai fait le rapprochement entre la déclaration de Caracas et les modalités de coopération entre niveaux de gouvernance. Ne tenions nous pas là un fil directeur ? Il suffisait pour cela de considérer que les « principes directeurs communs » traduisaient l’unité et les solutions « spécifiques » la diversité.
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C’est donc vers 1992, en rapprochant ces différentes découvertes, que j’ai avancé le concept de subsidiarité active. Subsidiarité puisque la responsabilité d’élaborer des réponses concrètes relève du niveau le plus local possible ; active puisqu’il ne s’agit pas pour chaque niveau local d’agir en toute liberté mais au contraire de se conformer à un certain nombre de principes directeurs communs.
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La subsidiarité active : un principe en rupture avec les approches classiques de la gouvernance
Le principe de subsidiarité active procède (…) sur le mode du retournement, de l’inversion : ce qui était jusqu’à présent jugé secondaire et de ce fait renvoyé dans l’impensé, la relation local/global, la relation entre niveaux de gouvernance, devient au contraire le coeur de la gouvernance, ce à partir de quoi tout le reste s’agence.
Le principe de subsidiarité relève de la trilogie « compétences, règles, institutions ». Le principe de subsidiarité active de la trilogie « objectifs, critères, dispositifs de travail ». Alors que le principe de subsidiarité conduit, presque obsessionnellement, à lister et délimiter des compétences déléguées au niveau du dessus, le principe de subsidiarité active affirme l’inanité d’une telle délimitation, son caractère contreperformant. Ce qui fonde la nécessité pour les « niveaux d’en haut » d’intervenir, ce ne sont pas les considérations sectorielles, ce sont des défis et des objectifs, intersectoriels et communs par nature.
Dans le principe de subsidiarité active, ce sont les raisons d’agir qui doivent être explicitées pour justifier les contraintes imposées au niveau local et non les domaines dans lesquels l’autorité s’exerce.
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On peut aussi observer que le principe de subsidiarité active fait éclater l’idée même de communauté « naturelle », tribu ou nation, supposée être la source première de la légitimité. A terme, en vertu du principe d’interdépendance croissante, tous les niveaux de gouvernance auront une valeur philosophiquement comparable même si l’un d’entre eux, l’État, gardera pour des raisons historiques et institutionnelles profondément enracinées une prééminence : par le nombre et l’ancienneté de ses structures, par la force de ses institutions, par l’organisation des acteurs sociaux et politiques à son niveau. En poussant la logique à son point ultime, on en vient à considérer que tous les problèmes de la planète sont des soucis domestiques et que la légitimité finale de la gouvernance se situe au niveau mondial et non au niveau local. Cette légitimité fixe les objectifs. Le critère « maximum d’unité et maximum de diversité » impose quant à lui le mécanisme de la subsidiarité active.
Les sociétés ont des défis communs mais elles y apportent des solutions spécifiques
Comment expliquer le caractère général du principe de subsidiarité active, le fait que ce soit un mécanisme de portée universelle ? Cela nous ramène à l’assertion initiale d’Einstein : le plus incompréhensible est que le monde soit compréhensible. Transposée à la gouvernance, cela donne : le plus incompréhensible est que l’on puisse énoncer des principes communs malgré des différences innombrables de contexte culturel, social, politique, historique, économique et écologique. Cette double dimension d’universalité des principes et de spécificité des solutions me paraît à la fois d’ordre anthropologique et d’ordre écologique.
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La subsidiarité active conduit à une redéfinition de la responsabilité des fonctionnaires
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Dans la tradition administrative, le premier devoir du fonctionnaire est un devoir de conformité : aux règles établies, aux ordres reçus. Au point que sa responsabilité, y compris pénale, n’est engagée que dans la mesure où il n’a pas « respecté les règles ». Le principe de subsidiarité active, en déplaçant philosophiquement la question de la responsabilité de la conformité à la pertinence, peut aussi s’appliquer aux fonctionnaires. S’il est possible d’inventer localement les réponses les plus adaptées en application de principes directeurs reconnus par tous, l’absence de recherche d’une telle adaptation engage la responsabilité des acteurs.
De même que l’attention passe, dans l’organisation des différents niveaux de gouvernance, du partage des responsabilités à l’exercice de la responsabilité partagée, de même, dans l’organisation de la fonction publique, le devoir de conformité se transforme en devoir de pertinence.
La subsidiarité active est un art
(…) Dans une démarche de subsidiarité active, l’insistance est mise sur le processus d’élaboration de solutions et non sur la reproduction automatique de modèles. La mise en oeuvre du principe de subsidiarité active est aussi différente du catalogue de « bonnes pratiques » cher aux institutions internationales que l’est la subsidiarité active de la subsidiarité : ce sont des démarches presque opposées. On le constate d’ailleurs dès que l’on travaille sur l’échange d’expériences : la présentation d’une politique mise en oeuvre à un endroit donné a peu de signification pour les autres tant qu’elle ne se complète pas d’une description du processus par lequel cette solution a été trouvée.
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La subsidiarité active dessine le cycle de la gouvernance
Dans la gouvernance, comme dans tout type d’organisation, on ne part jamais de zéro, on n’est jamais en face d’un défi radicalement nouveau. C’est pourquoi, en reprenant une fois encore l’histoire de la déclaration de Caracas, tout, dans la démarche de subsidiarité active, part de l’échange d’expériences. La richesse de l’approche est d’autant plus grande que sont confrontées des expériences vécues dans des contextes extrêmement différents. (…)
Ainsi, tout part de situations concrètes décrites dans l’échange d’expériences aussi diverses que possible. De là, on en vient à dégager des principes directeurs. Dans chaque contexte local, sous le regard des autres entités, s’appliquent ces principes directeurs comme des obligations de résultat et l’on s’efforce d’y trouver une réponse pertinente. La politique est mise en oeuvre. Elle crée à son tour un nouveau vivier d’expériences qu’il importe d’évaluer collectivement. C’est donc une démarche d’apprentissage continu qui fonde la subsidiarité active. On est très loin de cette position d’artilleur que j’ai trop bien connue où les pouvoirs publics décident une politique puis prétendent quelques années après la faire évaluer selon des critères prétendument objectifs afin de « corriger le tir ». Il n’y a en réalité d’évaluation que partenariale, impliquant la confrontation avec les autres acteurs et avec ceux qui mènent des politiques comparables dans des contextes différents. Ce qui compte dans la gouvernance, c’est finalement le cycle temporel qui organise ce processus continu d’apprentissage. A l’échelle d’une organisation, cela s’appelle une « organisation apprenante ». A l’échelle d’une société cela s’appelle le capital social.
Dossier : 9 thèses pour repenser la gouvernance, Résumés et extraits du livre « La Démocratie en miettes » de Pierre Calame. Ed. Charles Léopold Mayer, Descartes. Paris. 2003.