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MEXIQUE - La Réforme Agraire: 77 années d’intervention de l’Etat en matière foncière. 2/4. De 1940 à 1992.

Fiche 2 de 4.

Rédigé par : Hubert Cochet

Date de rédaction :

Organismes : Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER)

Type de document : Article / document de vulgarisation

La réforme agraire passe au second plan. 1940-1964.

La réforme agraire se poursuit après 1940, sur la base de la même législation agraire (le Code agraire de 1934 n’étant modifié qu’en 1971) mais à un rythme moins soutenu. Elle reste politiquement incontournable (la paysannerie est le principal soutien du régime en place) mais on n’en fait plus un instrument privilégié de développement économique. L’irrigation et la révolution verte d’une part, le développement du front pionnier de l’élevage d’autre part, accaparent une part croissante des soutiens politique et financier des pouvoirs publics.

La poursuite de la réforme agraire, incontournable politique.

Bien que le rythme des distributions soit nettement ralentit par rapport à la période présidentielle de L. Cardenas, plus de 26 millions d’hectares sont distribués pendant les 4 sextennats (sexenios) suivants (1941-1964) à environs 450 000 bénéficiaires (voir graphique 1).

 

Les surfaces affectées par la réforme agraire sont donc encore importantes, bien que le nombre de bénéficiaires le soit beaucoup moins. Les parcelles distribuées sont en effet beaucoup plus grandes en moyenne (près de 60 ha par bénéficiaire) mais les terres concernées sont en général de bien moindre qualité : très peu de terre irriguées (moins de 1 ha par bénéficiaire), 8 à 9 ha de terre de culture pluviale en moyenne, la plus grande partie de la dotation étant constituées de terres de pâturage et parcours ainsi que de forêt dans les régions de colonisation agricoles (50 ha en moyenne par dotation). Voir Graphique n° 2

Le reparto reste incontournable pour un pouvoir politique dont le soutien paysan est acquis, mais doit être entretenu par la poursuite de la réforme agraire. On en arrivera même à ordonner le truquage des statistiques officielles de la réforme agraire pour gonfler les chiffres et entretenir ainsi le mythe agrariste (Présidence de M. Aleman V.). La poursuite de la réforme agraire est aussi un puissant levier de contrôle politique des campagnes, dont la CNC (Confederación Nacional Campesina), seul syndicat agricole reconnu par les pouvoirs publics, sera l’instrument principal.

Un soutien fort aux grandes exploitations

La grande propriété bénéficie à nouveau de davantage de protection légale. La procédure d’appel en cas de menace d’affectation est rétablie (juicio de amparo) sous la Présidence de M. Aleman V. (1946-1952) au bénéfice des grands propriétaires et tout un arsenal juridique est mis en place pour protéger la propriété privée dans les années 50’ (Présidence de Ruiz Cortines, (1952-1958).

Tandis que le lobby de l’élevage est particulièrement actif au sein du Parti Révolutionnaire Institutionnel, les pouvoirs publics font tout pour faciliter le développement en cours de l’élevage bovin extensif, particulièrement sur les fronts pionniers du sud-est par la distribution massive de « certificats d’inaffectabilité », d’une validité de 25 ans, aux grands éleveurs.

En outre, la loi de colonisation, également ratifiée en 1947 et valide jusqu’en 1962, privilégie le régime de la propriété privée (colonies agricoles et « petites propriétés d’élevage ») dans les concessions de terrains nationaux, alors que l’élevage est érigé en activité qui, plus que tout autre, justifie l’accaparement de ces terrains (Cochet, Léonard et Tallet, 2006).

Par ailleurs, et tandis que la réforme agraire est de plus en plus perçue comme une mesure sociale (indépendamment de son intérêt pour contrôler les masses paysannes), on considère que le développement économique passe davantage par l’investissement public (grands périmètres irrigués, notamment dans les régions arides du Nord) et privés (dans les moyennes et grandes exploitations capables de se lancer dans le processus de chimisation / motorisation, notamment agro-exportatrices : coton, café,..).

Soutien des prix et subventions aux intrants.

A partir de 1957, la politique d’intervention sur les prix s’oriente résolument et durablement sur une politique de soutien des prix agricoles sous forme de prix garantis établis nettement plus haut (50% plus haut) que le prix international. De la fin des années cinquante jusqu’au début des années quatre-vingt dix, soit pendant environ 35 ans, le prix intérieur du maïs sera ainsi maintenu nettement plus élevé que celui du maïs américain (ramené en pesos mexicain)1. Ce soutien des prix aux producteurs, rendu possible par la mise en place d’un organisme public chargé d’acheter les grains de base (surtout le maïs) à ce prix garanti, s’accompagne d’une politique de subvention à la consommation, notamment urbaine, par l’intermédiaire d’un autre organisme (futur CONASUPO) chargé de ces ventes à prix subventionné.

Par ailleurs, l’industrie pétro-chimique permet une production massive d’engrais de synthèse, eux même très largement subventionnés pour en permettre un accès large aux producteurs. En monnaie constante, les prix des engrais n’ont cessé de baisser à partir des années 60, rendant ces intrants accessibles à un nombre croissant d’agriculteurs, y compris parmi les plus modestes. Le prix des engrais azotés, par exemple est divisé par 3, en pesos constants, entre 1965 et 1990. Au début des années quatre-vingt, 75 % des surfaces semées de maïs reçoivent des engrais2.

Relance forcée de la réforme agraire et colonisation agricole (1964-1976).

Distribution massives de terres

Le processus de distribution de terre est réactivé avec force sous la Présidence de G. Diaz Ordaz pendant laquelle près de 25 millions d’ha sont distribués (la distribution la plus importante de l’histoire), puis sous la Présidence de L. Echeveria A. où plus de 12 millions d’hectares sont a nouveaux affectés (voir graphique n°2). Ce sont donc 37.5 millions d’hectares qui seront distribués pendant cette période à environ 425 000 bénéficiaires, la surface moyenne attribuée à chacun étant de plus de 85 hectares ! Tout comme pendant la période précédente, ces lots comprennent fort peu de terre irriguée (0.4 ha par bénéficiaire), quelques ha de temporal (un peu plus de 6 ha) et surtout des pâturages, parcours et forêt (78 ha). Ces moyennes cachent d’énormes disparités, certains ejidos situés en zone quasi-désertiques recevant 700 ou 800 ha par personne tandis que les dotations établies en front pionnier s’établissent autour de 20 ou 40 ha de forêt. (cf. graphique n° 2).

Cette nouvelle phase de distribution massive répond dès lors à un double objectif :

  • d’une part apaiser les conflits sociaux à la campagne (conflits multiples à la fin des années 60, multiplication des occupations de terres,…) et apporter une réponse aux revendications exprimées par la deuxième génération, celle des enfants des premiers bénéficiaires de la réforme agraire, à leur tour demandeurs de terres. A cette fin est mis en place la procédure d’ampliación (extension) permettant aux ejidos déjà constitués pendant les premières décennies de la réforme agraire de se voir attribuée une rallonge de terre destinée à doter les enfants et petits-enfants des premiers bénéficiaires. Depuis la création des premiers ejidos, en effet, la population a plus que doublé, de sorte que dans les ejidos même, apparaissent de nombreux demandeurs de terre issus de la deuxième génération

  • et d’autre part poursuivre en l’amplifiant la progression du front pionnier de l’élevage dans les terres basses du Sud-Est. Les lots distribués le sont souvent à des distances considérables des lieux d’origine des bénéficiaires, difficilement accessibles car dépourvus de voies de communication (autre que fluviales) et parfois mêmes non cartographiés (ex Uxpanapa). Ce front pionnier constitue un autre exutoire à la « soif de terre » qui se manifeste dans le centre du pays. Tandis que de nouveaux rapports sociaux se mettent en place entre bénéficiaires de la réformes agraire sur le front pionnier et grands éleveurs détenteurs de capitaux (cf métayage d’élevage), la réforme agraire permet de maintenir actif le front pionnier de l’élevage extensif tout en pérennisant les rapports sociaux de production qui en servent de base (Cochet, Léonard, Tallet, 2006).

Ajustements législatifs.

Le code agraire de 1934 est modernisé par la Loi Fédérale de réforme agraire de 1971 qui, sans introduire de changements fondamentaux, permet quelques adaptations, notamment destinées à adapter la loi à son nouveau terrain d’application : la colonisation du tropique :

  • les nucleos de población acquièrent une personnalité juridique, ce qui permet aux nouveaux villages ou hameaux créés en situation de front pionnier de se constituer sujet de droit agraire et de réclamer des terres (avec un minimum de 20 personnes « capacitados »)

  • Le plafond de la propriété privée est établi, comme auparavant à 100 ha d’irrigué, 200 ha de pluvial. Mais on introduit le plafond de 150 ha de coton, 300 ha de plantations pérennes pour « protéger » les nouvelles unités de production de grande taille engagées dans ces spécialisations productives. On différencie également le plafond de surface de pâturage : 400 ha de pâturage dit « de bonne qualité », essentiellement dans le tropique humide et 800 ha de pâturages « de mauvaise qualité », (situé en zone tropicale sèche) ou, à défaut la Surface nécessaire à l’entretien de 500 têtes de gros bétail.

  • Jusqu’en 1973 les bénéficiaires de « certificat d’inaffectabilité d’élevage » ne peuvent pas mettre en culture une partie de leur domaine ou y semer des cultures fourragères sans risquer de perdre leur certificat (frein à l’investissement), mais des ajustements rendront la chose possible après.

Les dernières distributions foncières (1976-1992).

Les quinze dernières années de la réforme agraire mexicaines sont marquées par un net ralentissement, voire épuisement, des procédures de dotations foncières. On distribue encore un peu plus de 6 millions d’ha sous la Présidence de J. Lopez Portillo3 et presque autant sous la Présidence de M. de la Madrid (graphique n° 2), soit environ 12 millions d’hectares supplémentaires à près de 500 000 familles bénéficiaires (24 ha en moyenne par famille dont seulement 0.3 ha irrigué et moins de 3 ha de terre de culture en sec, cf. graphique n° 2).

La Présidence de J. Lopez Portillo est surtout marquée, dans un contexte de prix du pétrole en hausse, par la mise en place d’une politique agricole (SAM Système Alimentaire National) très coûteuse –subventions, soutien des prix-, tout en laissant la réforme agraire passer au second plan). Sous les présidences de L. Echeveria et J. Lopez Portillo, et face à la crise qui se profile à l’horizon, on augmente les dépenses publiques (rente pétrolière).

La présidence de Miguel de la Madrid Hurtado est marquée par la crise de la dette et, cette fois-ci par la réduction des dépenses publiques.

La Présidence de Carlos Salinas de Gortari marque la préparation de la fin de la réforme agraire, décrétée en 1992 et le début de la « réforme de la réforme » les distributions de terres sont alors insignifiantes et viennent seulement « solder » quelques dossiers en cours.

1 P.M. Rosner, 1995.

2P.M. Rosner, 1995.

3 On achète même à grands frais des terres légalement inaffectables, pour satisfaire tout le monde (y compris les grands propriétaires dont les terres avaient été occupées) et poursuivre le reparto…

Bibliographie

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CHEVALIER (F.), 1953 : La formation des grands domaines au Mexique : Terre et société aux XVIe et XVIIe siècles, Institut d’Ethnologie, Paris.

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