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Développement de périmètres irrigués en Partenariat Public-Privé (PPP)
Written by: Clémentine Rémy
Writing date:
Organizations: AgroParisTech
Type of document: Research Paper
Les investissements privés dans le secteur agricole en Afrique Sub-saharienne se sont multipliés depuis la crise des prix agricoles de 2008. Renforcé par la baisse de l’aide internationale au développement agricole, ce phénomène se traduit, dans de nombreux cas, par l’acquisition et la mise en culture de terres par des entreprises agricoles et ainsi, par la mise en présence de systèmes de production entrepreneuriaux avec les systèmes agricoles locaux, de types familiaux. D’abord critiquée par de nombreux acteurs internationaux, puis encadrée par des « Directives volontaires pour la gouvernance foncière », cette tendance est aujourd’hui soutenue par certains bailleurs de fonds dans le but de développer des synergies qui seraient favorables à l’agriculture familiale, dont l’importance pour relever les défis de sécurité alimentaire, d’emploi et de lutte contre la pauvreté ont été réaffirmé au cours de l’année internationale de l’Agriculture familiale en 2014.
L’objet de ce projet de thèse est d’analyser d’une part, les possibilités et modalités de coexistence de systèmes de production agricole familiaux et entrepreneuriaux sur un même territoire et, d’autre part, l’intérêt de telles coexistences pour le développement de l’agriculture familiale. En d’autres termes : est-il possible de promouvoir un modèle agricole familiale par l’introduction d’exploitations agricoles entrepreneuriales sur un même territoire? Comment faire coexister et se renforcer deux modèles de production agricoles concurrents vis-à-vis des terres, de la ressource en eau, du marché et des soutiens publics?
Pour répondre à ces questions nous nous placerons dans le cadre de cas concrets, dont celui du projet IDSP (Irrigation Development and Support Project) en Zambie.
Terminologie
L’agriculture familiale se caractérise par le fait que « l’essentiel ou la totalité du travail est effectué par l’agriculteur et sa famille à qui appartient le capital d’exploitation ». A l’inverse, l’agriculture entrepreneuriale ou agriculture de firme est caractérisée par une « séparation travail-capital », le propriétaire du capital investit dans le processus productif, participant pas ou peu « au travail qui est effectué par une main d’œuvre salariée ou rémunérée à la tâche » (Cochet 2015).
1. Le projet IDSP (Irrigation Development and Support Project) en Zambie
Le projet IDSP est en cours de mise en œuvre. Aujourd’hui, trois des zones rurales qu’il cible sont en cours de développement. Sont en cours : la construction des périmètres irrigués, la réinstallation et la compensation des foyers affectés, l’identification d’entrepreneurs agricoles.
Les modalités que nous évoquons ci-dessous sont les modalités envisagées mais non encore appliquées, dans le cadre du projet.
La logique de l’IDSP : Engager les agriculteurs familiaux, une entreprise agricole et l’Etat
Le projet IDSP, mis en œuvre par le Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage zambien et financé par la Banque Mondiale, propose un modèle de développement de l’irrigation basé sur l’investissement d’un entrepreneur agricole et sur la mise à disposition de terres agricoles par des agriculteurs familiaux à cet entrepreneur.
Pour chaque zone ciblée, le projet prévoit l’installation et la mise à disposition d’infrastructures d’irrigation par l’Etat, la réallocation des ressources en terres et en eau entre les agriculteurs familiaux déjà présents dans cette zone rurale et un entrepreneur agricole, ainsi que la mise en place d’un partenariat public-privé entre l’entrepreneur agricole et l’Etat, dans l’objectif de financer et de pérenniser le fonctionnement et l’entretien des périmètres irrigués.
Ainsi, le projet IDSP veut mettre l’investissement d’un entrepreneur agricole au service du développement de l’irrigation. Il considère que pour intéresser des entrepreneurs, le contexte de production doit être rendu attractif, à la fois par l’Etat et les agriculteurs familiaux. Le projet cherche donc un compromis entre les intérêts de l’entrepreneur, de l’état et des agriculteurs familiaux. L’IDSP se veut ainsi engageant pour toutes ses parties prenantes : les agriculteurs familiaux, l’entrepreneur agricole et l’Etat.
Les principes de l’IDSP : réorganiser les territoires et restructurer les systèmes d’acteurs
Le projet repose dans sa mise en œuvre sur 4 principes :
l’utilisation de l’investissement d’un entrepreneur agricole,
le partage des terres et des ressources en eau entre de nombreux agriculteurs familiaux et un entrepreneur agricole,
la mise en place de trois modèles de production avec des « petits agriculteurs » issus des agriculteurs familiaux; des « agriculteurs émergents » issus des agriculteurs familiaux; et une « exploitation agricole commerciale » financée par un entrepreneur agricole.
un montage institutionnel en partenariat public-privé
Dans cette organisation, l’entrepreneur agricole cumule différents rôles : en plus de mettre une part des terres en culture et de financer une part importante du fonctionnement (frais d’électricité) et l’entretien du périmètre irrigué, l’entrepreneur agricole doit assurer la gestion du périmètre irrigué (tours d’eau et collecte des redevances) et rendre des services aux agriculteurs familiaux de type ‘accès au marché’, ‘accès aux intrants’, ‘conseils et formation agricoles’.
Ainsi, l’IDSP prévoit l’introduction sur un territoire, d’un nouvel acteur aux rôles multiples, impliquant à la fois une réorganisation du territoire et une reconfiguration du système d’acteurs : il s’agit en effet de réaménager le territoire et de redéfinir les usages des terres en construisant des infrastructures d’irrigation, en déterminant les terres irrigables pour les consacrer exclusivement à la culture irriguée, en les partageant entre l’entrepreneur agricole et les agriculteurs familiaux et en créant un système d’acteurs permettant la gestion des terres et de l’eau.
Pour conclure, l’IDSP fait en théorie et à priori, un pari ambitieux : celui de faire coexister et se renforcer deux modèles de production à priori concurrents vis-à-vis des terres, de la ressource en eau, des marchés et des soutiens publics. Pour cela, il propose un réaménagement du territoire et un montage institutionnel en partenariat public-privé et ainsi, un modèle de développement agricole et rural, basé sur l’investissement privé, ancré à l’échelle du territoire et inscrit dans un cadre institutionnel spécifique.
Tableau 1 : Contributions des différents acteurs impliqués dans le fonctionnement des périmètres irrigués
Le partage des ressources entre les différents systèmes de production
Une des particularités de l’IDSP est la division des terres irrigables en trois parts non-égales appelées « Tiers ».
Les « Tiers » se situeront sur des sols différents les uns des autres, disposeront d’équipements d’irrigation différents. Il seront destinés à des modèles de production différents qui produiront à priori des denrées agricoles différentes.
Le « Tier 1 » désigne la surface irrigable qui sera mise en culture par les « petits agriculteurs » familiaux : l’irrigation sera à priori gravitaire. Le « Tier 1 » est divisé en parcelles de 0,25 ha qui seront à priori et si la surface le permet allouées à chaque famille agricole.
Le « Tier 2 » désigne la surface irrigable qui sera mise en culture par certains agriculteurs familiaux dits « émergents » : l’irrigation sera faite à l’aide de sprinklers.
Le « Tier 3 » désigne une surface irrigable qui sera mise en culture par l’entrepreneur agricole : l’irrigation sera faite à l’aide de pivots.
2. Enjeux de l’accès, l’usage et la gestion des ressources naturelles
Les enjeux associés au partage et aux usages des terres
Le projet définit globalement 2 types de terres : les terres irrigables et les terres non irrigables.
Sur chaque site, l’enjeu du partage des terres irrigables est double : d’une part celui du partage entre l’entrepreneur agricole et les agriculteurs familiaux et, d’autre part, celui du partage entre les agriculteurs familiaux. Globalement, suffisamment de terres doivent être libérées pour intéresser un investisseur privé mais, suffisamment de terres doivent aussi être conservées pour permettre aux agriculteurs familiaux de subvenir à leurs besoins et de se développer.
De plus, le partage entre terres irrigables et terres non irrigables est lui aussi un enjeu dans la mesure où les terres non irrigables devront permettre la collecte du bois de chauffe, le pâturage du bétail et l’agriculture pluviale qui font partie intégrante des systèmes de production des agriculteurs familiaux.
Les enjeux associés au statut, à l’appartenance et au contrôle des terres irrigables
Un deuxième enjeu concerne le contrôle que les agriculteurs familiaux garderont sur les terres irrigables et la gestion de l’accès à ces terres. Il s’agit d’un enjeu pour la communauté dans son ensemble et pour chacun des agriculteurs souhaitant accéder à plus ou moins long terme, aux terres irrigables. En effet, les bénéfices de la culture irriguée seront familiaux mais, les terres irrigables sont à l’échelle de la communauté villageoise, un bien commun géré collectivement.
Concrètement, les terres irrigables passeront du domaine des terres coutumières gérées par le chefs traditionnels à celui des terres d’Etat. Une Fiducie foncière sera mise en place, accèdera aux terres irrigables par l’intermédiaire d’un bail de 99 ans auprès de l’Etat et les gérera au nom des communautés villageoises. Les terres seront alors sous louées à l’entrepreneur agricole ainsi qu’aux « agriculteurs émergents » et allouées aux « petits agriculteurs ».
La définition des critères d’allocation des terres, des règles de transmission et d’échange des terres, et ainsi la gestion de l’accès aux terres irrigables auront un impact sur les systèmes de production qui seront développés par les agriculteurs familiaux.
De plus, il est probable que la réorganisation foncière et l’apparition d’un nouvel organe pour gérer l’accès aux terres aient un impact sur l’organisation sociale et les rapports de pouvoir au sein de la communauté villageoise.
Les enjeux associés à la gestion et au partage de la ressource en eau
Les agriculteurs familiaux et l’entrepreneur agricole devront partager l’eau d’irrigation disponible. Ils devront gérer ensemble le périmètre, ses infrastructures et l’accès à l’eau d’irrigation en organisant des tours d’eau et en entretenant le périmètre. Chaque système de production aura à priori des besoins en eau différents, à des périodes particulières.
Les systèmes de production pourront se trouver en concurrence pour la ressource en eau, en particulier lorsque la ressource se fera rare, en cas de sécheresse par exemple.
La définition des règles de partage de la ressource en eau conditionnera ainsi l’impact qu’aura le projet sur les systèmes de production et leurs résultats économiques.
Cochet, H. (2015). Controverses sur l’efficacité économique des agricultures familiales: indicateurs pour une comparaison rigoureuse avec d’autres agricultures. Revue Tiers Monde, (1), 9-25.