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Fiche 4 de 4.
Written by: Hubert Cochet
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Organizations: Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER)
Type of document: Paper / Document for wide distribution
1992 : la réforme de la réforme : seconde réforme agraire ou contre réforme agraire ?
En 1992 est proclamée la fin de la réforme agraire, présentée parfois comme la fin de sa phase distributive. Une nouvelle loi agraire, d’inspiration neo-libérale, est promulguée le 6 janvier 1992. Elle s’intègre dans la politique de libéralisation entreprise dès 1986 (adhésion au GATT) au Mexique et qui aboutit à la signature de l’ALENA en 1994. Cette politique, qui culmine au tournant des années 90 est notamment marquée (1) par l’abandon de la politique de soutiens des prix et leur alignement progressif sur les cours mondiaux (sauf mesure transitoire de 15 ans pour maïs/haricot jusqu’en 2008), (2) l’abandon des subventions aux intrants, notamment les engrais de synthèse, et (3) le démantèlement rapide des organismes publics de régulation (CONASUPO, INMECAFE, BANRURAL, …) (voir Léonard et Losch, 2005).
La nouvelle loi agraire (réforme de l’article 27).
Les grands principes en sont les suivants :
on protège l’intégrité des terres indiennes,
on réaffirme le plafond de la propriété privée comme étant = à 100 ha d’irrigué, ou 200 ha de temporal, ou 400 ha de pâturage de bonne qualité, ou 800 ha de « bosque, monte o agostadero en terrenos áridos », ou la surface nécessaire pour entretenir 500 têtes de gros bétail, ou enfin, 300 ha de plantations pérennes,
on réaffirme le caractère illégal du latifundium et on introduit l’obligation, pour le propriétaire, de vendre l’excédent par rapport au plafond légal,
on libéralise le marché foncier à l’intérieur de l’ejido en légalisant les ventes, locations, contrats à mi-fruit et mises en garantie,
on autorise la constitution de société par actions pouvant agréger une surface équivalente à 25 fois le plafond légal de la propriété privée, pourvu que le nombre de membres de la société soit suffisant pour que le rapport Surface totale /nombre de socios redescende en dessous du plafond légal.
Il s’agit bien, cette fois, de faciliter l’entrée du capital non-paysan dans l’agriculture ; les deux derniers point mentionnés ci-dessus ayant pour objectif de rendre le secteur agricole plus attractif pour les capitaux avec le risque, mainte fois soulignées par les opposants à la réforme, de voir se reconstituer de grands domaines fonciers, et plus encore capitalistiques.
Dans l’esprit de ses artisans, l’objectif de la réforme est de « transférer la propriété des ejidos et communautés de la Nation aux ejidataires et comuneros eux-mêmes ainsi que d’établir avec clarté les droits individuels et/ou collectifs de chacun » (Warman, 2001, p. 181), d’où l’appellation donnée de « seconde réforme agraire » par certains …
Par ailleurs, la réforme de l’article 27 garantit en théorie que tous les dossiers en cours seront instruits en rezago agrario, en fonction des lois en cours à l’époque de la solicitud.1 Cette loi prévoit aussi la création de tribunaux agraires autonomes
La nouvelle loi agraire s’accompagne d’une loi sur l’eau (ley federal de aguas) dont l’objectif est de dissocier les concession d’eau de la terre qui en est le support et de créer un marché de l’eau (des droits d’eau transférables).
L’application de la loi et la procédure PROCEDE.
Un vaste programme est mis en place pour permettre la mise en application de la loi, le programme PROCEDE (programa de certificación de derechos agrarios)
Chaque ejido peut, si il le souhaite, « rentrer » dans la procédure PROCEDE en franchissant successivement l’une puis l’autre des étapes prévues :
première étape : parcelamiento ejidal. Il consiste à prendre acte de la répartition interne de la terre au sein de l’ejido, de lever un cadastre et de distribuer à chaque ayant-droit un « certificat parcellaire » (+ un certificat d’usage commun pour les bois ou parcours conservés en collectif),
deuxième étape : dominio pleno ou pleine propriété qui doit aboutir à la délivrance, par l’administration, d’un titre de propriété individuel et définitif,
Le PROCEDE est donc l’outil de politique publique mis en place pour accélérer l’accès à la propriété privée (la « privatisation ») des bénéficiaires de la réforme agraire.
Cet outil de certification des droits fonciers reconnaît trois catégories d’ayant droit de la « propriété sociale » :
les ejidataires et comuneros de « plein droit » ayant accès à un lot « urbain » (solar)+ des parcelles de culture + des terres d’usage collectif,
des posesionarios ayant droit à une parcelle (en générale plus petite que les « vrais » ejidataires) mais sans droit de vote aux assemblées. La loi de 1992 leur permet de devenir ejidataire de plein droit s’ils démontrent l’effectivité de leur activité depuis au moins 5 ans,
les avecindados, qui ne disposent que d’un solar (et sont souvent des héritiers potentiels des ejidataires)
En 1999, après 6 années d’application de la réforme, 20 000 ejidos avaient été « certifiés » (1ère étape de la procédure), soit les 2/3 des ejidos. Avaient reçu un certificat 1 600 000 ejidataires, 275 000 posesionarios et 650 000 avecindados2.
D’autres circonstances vont accélérer la mise en place de la réforme foncière. La signature en 1994 de l’ALENA (Accord de Libre Échange Nord Américain, ou Tratado de Libre Comercio) et l’abandon de la politique de soutien des prix (fin des prix garantis en 1995, sauf période transitoire jusqu’en 2008 pour maïs et quelques autres produits de base) conduit à une baisse des prix relatifs, y compris du maïs et du haricot et à un alignement progressif sur les prix mondiaux. Afin de compenser partiellement cette baisse des prix, le gouvernement met en place des soutiens directs, sous formes de prime/ha dans le cadre du programme PROCAMPO (programa de apoyo para el campo). Ces subventions directes sont versées au titulaire du certificat PROCEDE, ce qui revient à subordonner la perception de cette aide à la mise en place préalable de la réforme foncière dans le cadre de PROCEDE, puissant levier d’accélération de la réforme….(ce fût vrai pendant les premières années de la réforme, sans doute moins systématique après). D’un montant élevé pendant les premières années (de l’ordre de 300 à 400 USD/ha) ces subventions avaient fortement baissé par la suite (de l’ordre de 100 USD/ha en 2004, 90 USD/cycle.an dans le Bajío michoacano en 2007)
La subvention est versée au titulaire du certificat (donc au « propriétaire » de la parcelle) et non à l’exploitant (qui peut être une tierce personne, fil, locataire, métayer, ou société privée)3. Pour A. Warman, ce programme PROCAMPO a permis à une multitude de petits producteurs (3.3 millions) de toucher pour la première fois une subvention, celle versée anciennement sous la forme de soutien des prix bénéficiant surtout aux commerçants (qui ne la répercutaient pas toujours ou en totalité aux producteurs) et aux gros producteurs.
Grâce à la rente pétrolière, les soutiens publics au secteur agricole restent très importants, mais fortement différenciés. A côté des subventions PROCAMPO surtout destinés au secteur « social » et dont l’objectif inavoué fut sans doute en partie d’accélérer la réforme foncière des ejidos (le montant de cette subvention est aujourd’hui bien inférieur, alors que la plupart des ejidos sont déjà engagés dans la procédure PROCEDE….), d’autres programmes de subventions sont alloués, surtout aux secteurs « modernisés » les plus productifs:
subvention à la commercialisation, réservée aux gros producteurs commercialisant des quantités importante, [ex maïs irrigué du Sinaloa]
programme « Alianza para el campo » = crédit d’investissement individuel bénéficiant surtout aux gros producteurs (cf Leonard et Losch, 2005)
Il en résulte un dualisme de plus en plus prononcé de la politique agricole et des soutiens publics…, dualisme qui renforce la coupure géographique, économique et sociale entre un sud-est de plus en plus paupérisé et soumis à un « traitement social » et les régions les plus productives du Nord-Ouest capables de produire dans des conditions de productivité élevées (mais avec de forts soutiens publics…) (cf Leonard et Losch, 2005).
Contre-réforme agraire ou seconde réforme agraire ?
Tandis que les opposants à la réforme de 1992 y voyaient une contre réforme agraire avec le risque de se voir reconstituer la grande propriété, ses partisans au contraire y voyaient le parachèvement de la réforme agraire avec la délivrance de titres de propriétés à chaque bénéficiaire.
Pas de reconcentration foncière, mais un développement de l’agro-business très rapide.
En fait, la libéralisation du marché du foncier ne n’est pas traduite par une reconcentration foncière de grande envergure. Le marché foncier reste dominé semble-t-il par un marché de proximité, pour lequel un certain contrôle éjidal s’exerce encore (il faut l’assentiment de l’assemblée ejidale pour vendre à un acheteur extérieur). Contrairement à ce qui était craint, peu nombreux sont les ejidataires qui ont vendus leur parcelle, sauf en cas de spéculation péri-urbaine.
Pour un entrepreneur agricole désireux d’investir dans l’agriculture il est beaucoup plus simple et moins coûteux de passer par la location, d’autant moins chère que le preneur fournit un travail au bailleur…..(cf. diverses formes de rapport contractuel en cours). On assiste donc à un développement important de l’agriculture sous contrat et à une recomposition de grands domaines capitalistiques (et non plus seulement foncier ou même sans aucun contrôle direct sur le foncier….).
Une mise-à-jour de la différenciation paysanne interne aux ejidos.
Les modalités concrètes d’application de la loi dans chaque ejido, le choix de s’en tenir à la première étape ou au contraire de pousser le processus jusqu’à son terme (dominio pleno), l’engouement pour la réforme, le choix du statu quo ou la résistance la plus farouche à la délimitation définitive des parcelles de chacun, constitue un réactif puissant susceptible de faire apparaître au grand jour des décennies entières de vie en bon ou mauvais voisinage, de démocratie villageoise dévoyée, d’accaparements fonciers et de corruption des autorités ejidales, de différenciation paysanne exacerbée au cœur même du « secteur social ».
Pas d’accès au crédit, malgré la garantie offerte par le titre de propriété …
En matière d’accès au crédit, les bénéficiaires de la réforme agraire peuvent effectivement justifier d’un titre de propriété, le brandir comme garantie auprès des organismes financiers, et accéder enfin au crédit. Mais le secteur bancaire ayant été privatisé, l’accès au crédit reste particulièrement difficile pour les agriculteurs. Ce sont les usuriers qui, une fois encore, raflent la mise et occupent l’espace laissé libre par le secteur bancaire. Ils exigent el papelito en gage de leur prêt et ne sont pas disposés à s’en dessaisir avant remboursement complet du prêt, intérêt et capital. De ce fait, les usuriers, détenteurs des titres ainsi mis en gage, empêchent leurs détenteurs de toucher les subventions Procampo (quand ils ne les touchent pas eux-mêmes ??).
1Seule exception à la proclamation de la fin du reparto, le cas de certaines régions des Chiapas secouée par la rébellions de 1994 où, pour des raisons politiques, on a continué à distribuer des terres (en finançant l’achat à des privés, ce qui n’a plus rien à voir avec le processus historique de réforme agraire), 240 000 ha pour 60 000 bénéficiaires (4 ha / tête).
2Warman
3L’ejidataire peut donc, en cédant sa parcelle à un tiers, toucher à la fois une rente foncière ou assimilé et la subvention PROCAMPO.
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