Title, subtitle, authors. Research in www.agter.org and in www.agter.asso.fr
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English version: Collaboration on formal land policies: the missing link for West African land tenure systems?
Written by: Hubert Ouedraogo, Vincent Basserie
Writing date:
Organizations: Association pour contribuer à l’Amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles (AGTER), Le Hub Rural - Appui au développement rural en Afrique de l’Ouest et du Centre (Le Hub Rural), Groupe de Recherche et d’Action sur le Foncier (GRAF), Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA), LandNet West Africa, Comité technique « Foncier et développement » (CTFD)
Type of document: Paper / Document for wide distribution
Au lendemain de leurs indépendances, les États africains francophones ont le plus souvent nationalisé les systèmes fonciers hérités de la colonisation, tout en procédant à des ajustements ponctuels en fonction de leurs spécificités nationales. Ce faisant, ils n’ont pas abouti à la sécurisation des droits fonciers des populations : la rupture entre les lois et les réalités et pratiques observées sur le terrain (les pratiques des acteurs ruraux mais aussi celles des États) demeure encore aujourd’hui profonde.
Cette fiche émet l’hypothèse que relever avec succès le défi de la sécurisation foncière passe par l’adoption de politiques foncières claires et consensuelles : la ligne de conduite guidant l’action publique relative à la terre doit être négociée avec les différentes parties prenantes et être mise par écrit dans un document officiel de politique foncière.
Des politiques foncières non clarifiées depuis les indépendances
Un constat : la faible efficacité et effectivité des systèmes de sécurisation foncière
S’il y a un constat qui fait l’unanimité, c’est sans doute celui de la proportion très faible des producteurs ruraux qui disposent d’un document protégeant leurs droits fonciers.
Les États ont mis en place des législations et systèmes de sécurisation foncière visant à se substituer aux systèmes endogènes en place. Mais comme toute opération de « transfert de système juridique », l’introduction d’un droit foncier dit « moderne » a, avec le temps, fait preuve de peu d’efficacité et d’effectivité.
Parmi les causes de cette situation, on peut retenir ce qui suit :
les législations foncières étaient éloignées des réalités du terrain, notamment des réalités culturelles (les liens entre les Hommes et la terre), sociales et économiques (analphabétisme et niveau de pauvreté de la masse des producteurs) ;
les décisions étaient prises par les seuls services techniques de l’État, ce qui ne pouvait pas favoriser l’adhésion de la population ;
les pratiques foncières coutumières ont survécu aux efforts d’éradication et ont fait preuve d’une grande capacité d’adaptation aux changements économiques, écologiques, sociaux…
Des tentatives de réformes aux effets limités
Loin de rester inactifs, les États ouest-africains ont engagé des réformes, notamment à partir des années 1980, impulsées par la volonté de valoriser les ressources foncières, tout en étant influencées par le vent de libéralisme des années 1990.
Sur le fond, ces réformes ont été caractérisées par :
la confirmation et la consécration du rôle de l’État à travers la consolidation du concept du domaine national ;
une timide ouverture vers la reconnaissance du rôle des collectivités territoriales aux côtés de l’État;
une orientation plus nette en faveur de la propriété privée individuelle. Ce fut par exemple la raison principale de la révision en 1991 de la loi portant Réorganisation agraire et foncière au Burkina Faso ;
des efforts de simplification des procédures d’accès aux titres fonciers.
Sur la façon de faire, on peut retenir les caractéristiques suivantes :
ces réformes relevaient d’initiatives ponctuelles, engagées le plus souvent sous la pression des partenaires techniques et financiers. Elles étaient effectuées par les États, ou des experts engagés par les États, sans concertation avec les autres groupes d’acteurs ;
une faible prise en considération des expériences innovatrices de gestion foncière menées sur le terrain par des projets ou, parfois, par les communautés locales elles-mêmes ;
des États qui ne communiquent pas leur vision d’ensemble des problèmes et enjeux fonciers : soit parce que cette vision n’est pas construite (gestion des mandats électoraux à court terme, absence de prise en considération des tendances lourdes d’évolution sur le long terme), soit parce que certains enjeux ne peuvent être dévoilés (relations et liens ambigus avec les chefferies coutumières ou les opérateurs économiques par exemple) ;
l’absence de stratégies de mise en œuvre effective des réformes opérées.
Ces réformes étaient de nature juridique. Or une loi ne constitue pas une politique : elle n’est que la traduction au plan juridique d’une politique.
Clarification et discussion de la notion de politique foncière
Une politique foncière est la ligne de conduite adoptée par les États guidant l’action publique relative à la terre.
Une politique foncière exprime des choix
En tant que ligne de conduite, la politique foncière repose sur des choix à opérer, des options à prendre, des réponses à apporter à des questions fondamentales. Parmi les questions auxquelles la politique foncière peut répondre, on peut à titre d’exemple citer les suivantes :
quelle nature de la relation à la terre va-t-on reconnaître et formaliser ? Le droit de propriété importé lors de la colonisation et/ou d’autres types de relation à la terre qu’il faudrait alors mieux formaliser ?
à qui « appartient » la terre ou quels sont les personnes et/ou les collectifs dont les droits fonciers peuvent être reconnus ?
comment les détenteurs et les exploitants peuvent-ils en toute sécurité utiliser et mettre en valeur les ressources foncières ?
à qui et à quels niveaux peut-on reconnaître des pouvoirs de décision en matière de gestion foncière ?
comment régler les inévitables conflits fonciers, résultant de contestations de droits fonciers ou d’utilisations concurrentielles de la terre ?
Ces choix qui déterminent les systèmes fonciers influencent fortement un grand nombre d’enjeux diversifiés : des enjeux économiques (comme accroître la productivité agro-sylvo-pastorale), environnementaux (comme préserver les ressources naturelles), sociaux (comme garantir un accès équitable à la terre et préserver la paix), etc.
Au final, les spécialistes expriment cette idée ainsi : les politiques foncières mettent en jeu des « choix de société ».
Bien que les questions ci-dessus soient essentielles pour toute politique foncière, leur liste changera en fonction des contextes spécifiques nationaux.
Au Mali, la zone Nord du pays connaît une situation foncière particulière caractérisée par l’existence de très grands propriétaires fonciers traditionnels, détenteurs de documents fonciers (des conventions coutumières), et louant leurs terres aux populations locales. Selon les organisations paysannes, il est incontournable pour toute politique foncière viable au Mali d’examiner cette question et d’y trouver une réponse équitable.
L’État joue un rôle central mais non exclusif en matière de politique foncière
En tant que ligne de conduite adoptée par les pouvoirs publics, la politique foncière relève clairement de la responsabilité de l’État. Étant une question de politique publique et une question à dimension particulièrement sensible, il ne doit exister aucun doute que la politique foncière doit être initiée, conduite et supervisée par l’État. Cependant, il doit être tout aussi clair que la responsabilité de l’État n’est pas exclusive du rôle des autres acteurs dans le processus politique, particulièrement la société civile et le secteur privé. L’implication des autres acteurs doit être comprise comme une mesure de meilleure gouvernance foncière. De plus, il est de l’intérêt de l’État d’impliquer l’ensemble des acteurs à la discussion, en vue de créer les conditions d’une large adhésion à sa mise en œuvre.
Les politiques foncières non dites
Tel que discuté ci-dessus, les politiques foncières sont des discours formels des autorités publiques exprimant clairement leur vision et leurs orientations en matière de conduite de l’action publique dans le domaine du foncier. Cependant, l’absence de document formel de politique foncière ne signifie pas absence de toute politique foncière ; elle traduit simplement l’absence d’une politique foncière explicite.
Au-delà du discours officiel, les politiques peuvent aussi être recherchées dans le non-dit des pratiques et interventions foncières de l’État. Expliciter les visions, les orientations, les axes d’intervention en matière foncière constitue une mesure de meilleure gouvernance foncière et confirme la pertinence de l’élaboration de documents de politique foncière.
Il existe des cas intermédiaires entre politiques foncières formalisées et politiques foncières non exprimées. Par exemple en Côte d’Ivoire, une seule phrase prononcée par le président Houphouët-Boigny (« la terre appartient à celui qui la met en valeur ») a servi de ligne de conduite à l’administration pendant des années.
Importance des politiques foncières
Il convient à présent de préciser la valeur ajoutée de l’adoption d’une politique foncière par rapport à la situation courante de politique non explicitée.
Élaborer une politique foncière : un cadre et une opportunité pour la participation et le partenariat
La politique foncière est importante aussi bien du point de vue du produit (le document de politique) que de celui du processus (la méthodologie d’élaboration de la politique). Un débat peut s’organiser autour de questions claires, pour lesquelles les différents acteurs se sentent directement concernés. L’objectif essentiel du processus est d’aboutir à un consensus foncier national (qui ne pourra bien sûr pas être atteint sur tous les sujets), sur la base d’une négociation à partir de l’explicitation et de la reconnaissance de la diversité des enjeux portés par les différents acteurs et des différents intérêts fonciers légitimes.
Axer les débats sur un projet de texte de politique, clairement rédigé, permet d’éviter les non-dits et difficultés du langage juridique et favorise la participation effective des différents types d’acteurs aux processus. L’État doit jouer un rôle d’arbitrage dans un souci de promotion du développement économique et d’équité sociale.
Ensuite la politique foncière fournit à l’État, aux acteurs nationaux non étatiques ainsi qu’aux partenaires au développement, un cadre commun de référence et d’orientation en matière foncière. Ceci peut aider à renforcer la confiance entre l’État et les autres acteurs, et donc à favoriser l’acceptation de la réforme et faciliter sa mise en œuvre.
La politique foncière, un moyen de lier question foncière et développement
La politique foncière permet de mettre en relation les questions foncières avec les questions de développement, tout en les plaçant dans une perspective de long terme.
Les questions foncières n’ont pas de sens considérées de manière isolées ; elles doivent être considérées du point de vue de leur utilité pour le développement humain durable (réduction de la pauvreté, croissance économique, préservation de l’environnement, etc.). De même, les questions foncières sont loin d’être statiques : elles évoluent en fonction des dynamiques écologiques, démographiques, économiques et même sociales et culturelles, au plan national et global.
Les dynamiques démographiques déterminent fortement les enjeux de la réforme foncière : raréfaction des terres et compétition accrue pour l’accès à la terre ; augmentation de la demande en biens alimentaires et en logements sociaux et valorisation des terres urbaines et rurales … Il en est de même de la dynamique de l’urbanisation accélérée du continent, ou encore des phénomènes d’intensification des investissements directs étrangers dans le secteur de l’agriculture.
Principes clés pour l’élaboration et la mise en œuvre des politiques
L’élaboration de politiques foncières doit désormais constituer une priorité de premier plan pour les États africains. L’expérience montre que de telles politiques doivent reposer d’une part sur un diagnostic, reconnu comme objectif par les différents acteurs, des problèmes prioritaires à résoudre et d’autre part, sur une approche socialement inclusive, axée sur la participation véritable de l’ensemble des acteurs fonciers : État et collectivités locales, société civile y compris les organisations paysannes et les organisations de femmes, institutions traditionnelles, secteur privé, etc.
Les politiques foncières ne sont utiles aux États et aux producteurs ruraux que si elles sont effectivement mises en œuvre. L’expérience montre là aussi que les États doivent, dès la phase d’élaboration de leur politique foncière, envisager la question de leur mise en œuvre effective. Cela passe notamment par la formulation de mesures réalistes, en rapport avec les capacités nationales et locales de mise en œuvre. Mais cela passe aussi par l’élaboration d’une stratégie claire de mise en œuvre de la politique foncière, impliquant l’ensemble des acteurs concernés.
L’élaboration et la mise en œuvre des politiques foncières constituent des exercices complexes,longs mais réalisables. Le suivi et l’évaluation des politiques foncières sont déterminants afin d’assurer leur revue et actualisation périodiques autant que de besoin, et de corriger à temps les insuffisances ou erreurs commises.
Basserie V., Ouedraogo H., « La sécurisation foncière : un des défis majeurs pour le nouveau siècle », in Grain de Sel no 41-42, 2008. www.inter-reseaux.org/
Politique nationale de sécurisation foncière en milieu rural au Burkina Faso. www.hubrural.org/IMG/pdf/PNSFMR.pdf
Cadre et lignes directrices sur les politiques foncières en Afrique. www.hubrural.org/IMG/pdf/Land_Policy_Report_Final_FR.pdf
D’Aquino P., Basserie V.. Fiche pédagogique. Sécurisation et régulation foncière : des enjeux aux outils. Quelques obstacles à la cohérence des politiques, 2011.