Title, subtitle, authors. Research in www.agter.org and in www.agter.asso.fr
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English version: CHAD. Joint management of common land and resources in Mayo-Kebbi
Written by: Bernard Bonnet
Writing date:
Organizations: Institut de Recherche et d’Applications des Méthodes de Développement (IRAM), Réseau Agriculture Paysanne et Modernisation (APM), Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme (FPH)
Type of document: Paper / Document for wide distribution
Bonnet, Bernard. « Problématiques foncières et gestion des ressources communes. Regards sur quelques situations et expériences en Afrique de l’Ouest », Communication, Forum Social Mondial, Porto Alegre, janvier 2001.
Merlet, Michel. « Cahier de propositions. Politiques foncières et Réformes agraires ». IRAM, APM, FPH. Octobre 2002. 134 p. (téléchargeable au pied de la page, ainsi que la version anglaise actualisée réalisée par AGTER en 2007)
Recréer des instances locales d’orientation et de décision des ressources communes
Le Projet de gestion des ressources naturelles du Sud du Mayo-Kebbi (zone soudanienne du Tchad) s’est intéressé à la gestion des ressources communautaires (pâturages, eau, forêts, faune, bois, ressources halieutiques …) en accordant une place importante aux institutions et aux systèmes de gestion des ressources mis en place par les communautés. Il tente d’organiser des actions locales d’environnement sur le modèle de la gestion traditionnelle des ressources communautaires. La démarche s’appuie sur le concept d’ Instance Locale d’Orientation et de Décision, caractérisé par trois orientations :
partir des organisations de gestion existantes et améliorer leur capacité et efficacité, en évitant de - susciter la création de structures nouvelles trop dépendantes d’une structure de « projet »,
promouvoir le dialogue et la négociation entre les différentes catégories d’usagers pour que les actions menées renforcent les liens entre communautés,
favoriser un apprentissage progressif de nouvelles modalités de fonctionnement et de prise de décision au niveau des organisations locales existantes.
On s’attache à renforcer quatre fonctions essentielles pour la conception, la mise en application et le suivi d’une politique de gestion des ressources naturelles par les organisations locales :
a.Orientation globale pour la gestion des ressources naturelles: définition des enjeux et des problèmes majeurs à résoudre,
b.Elaboration de programmes de travail et de gestion précis, définition et ajustement d’une politique d’incitation adaptée.
c.Suivi et contrôle de l’application des règles communautaires: suivi et évaluation de l’exécution et des impacts des mesures, suivi et contrôle de la gestion des financements.
d.Médiation et/ou arbitrage entre groupes d’usagers: gestion et prévention des conflits, sanction en cas de non respect des règles de gestion communautaire.
Les organisations inter-communautaires qui se mettent en place rassemblent les représentants des villages, les gestionnaires coutumiers du foncier, les organisations socioprofessionnelles concernées (pêcheurs, chasseurs, agriculteurs, éleveurs) et les associations locales qui se sont mobilisées pour la préservation des ressources. Ces « forums » constituent une première étape de débat des règles de gestion en vigueur pour des espaces intervillageois au sein desquels une ou plusieurs ressources communes présentent des enjeux particuliers: lacs, réserves de faune et espaces forestiers intervillageois, bassins versants. La démarche engagée vise l’élaboration d’une charte de gestion, confirmant ou redéfinissant les règles de gestion et d’usage et précisant les modalités de contrôle, de sanction et de médiation.
Dans le cadre des orientations définies au niveau de ces instances locales, différentes réalisations ont été engagées pour appuyer la mise en œuvre concrète de mesures de gestion par différents groupes d’acteurs locaux 1.
Ces actions permettent d’élargir le référentiel technique de mesures de gestion de six ressources vitales de l’économie locale 2.
Parmi les premiers éléments d’impacts perceptibles, il faut souligner l’implication des participants aux assemblées, les réels débats qu’elles ont suscités, la présence massive de représentants villageois, la prise en charge de l’organisation logistique par le canton qui accueille l’assemblée. On relèvera aussi tout l’intérêt de ce type d’expérimentation conjointe de méthodes d’analyse et de planification. Elle oblige indéniablement chacun à porter un nouveau regard sur l’espace et les ressources, sur les phénomènes de dégradation en jeu et sur les modalités susceptibles de les circonscrire.
Par la mise en place de ces instances locales s’est opéré un certain rapprochement entre services techniques de l’Etat, chefferie locale et organisations socioprofessionnelles. Le premier impact se manifeste par une meilleure connaissance du mandat respectif de ces différents acteurs. On note aussi tout l’intérêt de la construction et de la reconnaissance de règles de gestion en commun. Au stade actuel du travail engagé, les instances locales accompagnées ne constituent pas de nouvelles institutions dans le paysage local du développement et de la gestion des ressources naturelles. Elles rassemblent en réalité les acteurs locaux qui se mobilisent autour des questions d’exploitation durable des ressources (centres de décisions, organisations paysannes, associations de protection du patrimoine). L’acquis principal est donc avant tout l’apprentissage de nouveaux modes de concertation, de débat sur les orientations et de décisions stratégiques concernant les modalités d’accès aux espaces et aux ressources communes.
Intérêt et limites de la démarche
Ce type d’approche soulève toutefois un certain nombre d’interrogations quant à la pérennité et au contrôle du pouvoir au sein de telles instances. C’est d’abord la question de la reconnaissance et légitimation des instances et des représentants qui est posée. La superposition des espaces d’intervention des instances avec d’autres instances administratives peut être porteuse de conflits.
Les modes de représentation des différents groupes d’acteurs et d’usagers reviennent régulièrement dans l’expérimentation de ces organisations qui veulent favoriser une plus grande démocratie locale. D’une manière générale, le mandat des « représentants » ou « personnes déléguées » des villages ou des organisations concernées demeure encore très flou.
Les systèmes de décision et le pouvoir de contrôle de l’application des règles communautaires constituent encore des enjeux clefs pour la réussite de ces expériences. Les débats enregistrés au sein de ces instances témoignent de l’intérêt porté par les ruraux à la définition des grandes orientations, mais la phase de prise de décision est encore insuffisamment formalisée. Il peut en résulter alors beaucoup d’incertitudes quant à l’engagement effectif des communautés dans l’application de telles résolutions.
La viabilité de telles mesures repose d’abord sur l’engagement des différents groupes d’usagers au moment de l’élaboration de ces règles. C’est là un domaine où des investissements doivent être faits pour définir des démarches de construction consensuelle assurant une légitimation des réglementations à promouvoir.
Une des difficultés majeures dans la mise en œuvre des systèmes de gestion des ressources naturelles réside également dans l’instauration de modalités de contrôle de l’application des règles d’exploitation. Ceci est particulièrement vrai quand il s’agit de mesures conduisant à restreindre les droits d’accès des usagers (réserves intégrales, mises en défens temporaires). Ceci accentue le réflexe d’exclusion des usagers externes (transhumants, pêcheurs et chasseurs des localités voisines…). La défiance des systèmes de contrôle de l’Etat est telle que les paysans ont tendance à s’y substituer pour les fonctions de police rurale. Cette question centrale du pouvoir de faire respecter les règles établies par le consensus élargi ouvre sur le domaine encore peu approfondi de la définition rigoureuse des fonctions et des mécanismes transparents de contrôle par les organisations locales et les représentants de l’Etat.
L’importance des financements extérieurs dans l’accompagnement de ces processus de concertation locaux pose aussi question. La motivation des acteurs observée n’est-elle pas seulement le reflet de l’enjeu de captation des subventions du projet aussi limitées soient-elles dans ce cas? L’accent doit donc porter sur la mise en place de dispositifs capables de couvrir progressivement les coûts de chacune de ces instances locales. Il y a là un enjeu fondamental à relever pour assurer une plus grande autonomie à ces organisations paysannes.
Les perspectives d’institutionnalisation de ces instances locales constituent un champ de réflexion encore très ouvert. Cette expérimentation aide à mieux cerner pour l’avenir les modalités d’organisation des collectivités territoriales à promouvoir en matière de gestion des ressources renouvelables. Cependant, l’objectif de constitution de structures de gestion formelles à terme ne doit pas empêcher dans un premier temps de se donner les moyens de mobiliser progressivement ceux qui ne perçoivent pas encore tous les enjeux de ces mécanismes de gestion concertée.
Sécuriser les droits avant de les enregistrer
Au sein des agricultures sahéliennes en voie de marginalisation économique, la gestion des pâturages, des forêts naturelles, de l’eau et de la faune exige une régulation des ressources qui est à rechercher entre deux situations extrêmes et opposées : la propriété absolue et exclusive, d’une part, et l’accès totalement libre et dérégulé, d’autre part. La gestion des ressources communes doit dans ces conditions apprendre à conjuguer les notions de mobilité, de durabilité, d’équité, de réciprocité, tout en intégrant les droits de priorité quand ils existent. Tous ces éléments contribuent à la sécurisation foncière des paysans et nécessitent un processus de concertation-médiation-arbitrage entre groupes d’usagers.
Ce n’est qu’une fois ces préalables établis que l’enregistrement des droits peut intervenir dans l’optique de mettre sur pieds un cadastre foncier formalisant les limites foncières mais aussi et surtout la diversité des droits particuliers et communautaires, prioritaires et temporaires qui s’exercent sur la terre et les différentes ressources qu’elle porte.
1 Dans une première phase, la mise en œuvre de la démarche a abouti à la réalisation de 152 projets locaux de gestion des ressources naturelles à l’échelle villageoise et intervillageoise (42 villages et groupes de producteurs, 3 organisations d’usagers et associations de protection de l’environnement se sont mobilisés dans ce cadre).
2 la terre (jachères améliorées, cultures en couloirs, compost, régénération parcs d’Acacia albida), la forêt (plantations d’arbres forestiers/ fruitiers, mise en défens de forêts galerie et lutte contre les feux), le pâturage (aménagements de points d’eau, matérialisation d’axes de transhumance), le poisson (réglementation, mise en défens de zones de reproduction, conservation), la faune (protection et évaluation des ressources cynégétiques), l’eau (protection de sources et de berges de cours d’eau).
Gestion commune des ressources naturelles : vers un renforcement des capacités locales, IIED, dossier n°94, août 2000, 24 p.